Jusqu’à cette opération, ma mère, malgré ses 81 ans, allait très bien, physiquement et mentalement. Elle vivait en parfaite autonomie, même si elle avait décidé d’arrêter de conduire. Elle faisait ses promenades en forêt, s’occupait de son jardin, et prenait soin de ses voisins et voisines en moins bon état qu’elle.
Jusqu’à cette opération en urgence, pour un motif qui au départ lui semblait futile, et qui s’est révélée très grave, très épuisante pour son corps, très handicapante aussi, et dont elle ne s’est jamais vraiment remise. Elle n’a jamais retrouvé la qualité de vie, l’indépendance, mais aussi la joie de vivre qui étaient la sienne.
C’est pour ça que, sans oser lui demander la permission, j’ai eu envie de vous parler de cette opération : l’occlusion intestinale. Je n’avais pas jusqu’alors conscience de sa gravité, et surtout des nombreux signes précurseurs que la plupart des patients ressentent, et malheureusement, dans la plupart des cas, négligent. C’était exactement son cas : elle s’était rendu compte que quelque chose n’allait pas. Mais elle n’a pas su faire la différence entre ses petits soucis gastriques habituels, et quelque chose qui clochait vraiment à ce moment précis et aurait mérité toute son attention.
Elle a fini par se rendre aux urgences quand les douleurs sont devenues insupportables. On l’a opérée dans la journée et très bien soignée. Malgré cela, c’était à bien des égards trop tard, alors qu’en réagissant plus vite, les choses auraient pu évoluer différemment.
Alors pour que ça ne vous arrive pas, ni à quelqu’un de votre entourage, j’ai eu envie d’écrire cette lettre.
LE TUYAU BOUCHÉ ? NON ! LE TUYAU CASSÉ !
Une occlusion intestinale n’est pas une forme aggravée de constipation. C’est l’erreur que nous avons faite, mes sœurs et moi, de croire que cette opération consistait en une sorte de super lavement intestinal[1], pour les cas de constipation avancée, et que le transit de notre maman allait naturellement se rétablir. Ma maman aussi pensait naïvement que les choses iraient pour le mieux après.
Malheureusement non. Quand on est opéré pour une occlusion intestinale, ce n’est pas que le transit se fait mal, c’est que le transit ne se fait plus du tout.
Rien qu’en France, on parle de 40 000 hospitalisations pour occlusion intestinale par an, avec un risque de décès important, pendant ou peu après l’opération. Selon une étude publiée en 2022 par des chercheurs de l’hôpital universitaire de Bonn, en Allemagne[2], environ 5 à 30 % des personnes souffrant d’une occlusion intestinale décèdent dans les 30 jours.
Une étude réalisée par des chirurgiens danois en 2016[3] a par ailleurs mis en évidence l’impact très important de l’âge : le taux de mortalité à l’hôpital était de moins de 10 % chez les patients les plus jeunes, mais de près de 20 % chez les plus âgés. À chaque tranche d’âge de 10 ans est associée une augmentation de 30 % du risque de décès dans les 30 jours suivant l’intervention.
Avec une population particulièrement concernée : les personnes souffrant d’un cancer du côlon. Selon une étude américaine, 40 % des personnes souffrant d’un cancer du côlon sont diagnostiquées à l’occasion d’une hospitalisation pour occlusion intestinale[4]. Évidemment, ce diagnostic est souvent trop tardif et offre peu de possibilités de traitement.
Alors, comment on en arrive là, et surtout, quels sont les signes avant-coureurs qui permettent de ne pas en arriver là ?
QUAND, COMMENT ET POURQUOI CELA SE PRODUIT ?
Il y a des tas de situations différentes qui peuvent produire une occlusion intestinale.
- Le cas le plus fréquent avec les enfants : l’ingestion d’un corps étranger qui réussit à passer l’estomac, mais à un moment donné se bloque et bouche les intestins. En général, on retire le corps étranger et le transit se rétablit.
- Autre cas, beaucoup plus grave, où quelque chose bloque le passage : lorsqu’une tumeur grossit dans l’intestin au point de l’obstruer, comme dans le cas du cancer du côlon.
- D’autres causes sont liées à des torsions ou des mouvements des intestins eux-mêmes. Lorsqu’une partie de l’intestin passe à travers la paroi abdominale et devient incarcérée ou étranglée, elle peut obstruer l’intestin. Lorsque l’intestin se tord sur lui-même (volvulus), glisse dans une autre partie de l’intestin (intussusception). Plus rare, des opérations de chirurgie dans les zones abdominales peuvent provoquer des adhérences intestinales, à savoir l’apparition de bandes de tissu fibreux qui créent des constrictions ou des torsions dans l’intestin.
- Enfin, des maladies telles que la maladie de Crohn, la maladie de Hirschsprung, la sclérose en plaques ou la maladie d’Alzheimer peuvent provoquer un rétrécissement de l’intestin (sténose) ou réduire l’activité des muscles intestinaux, entraînant une obstruction.
Si l’opération est réalisée dans une majorité des cas en urgence, c’est à cause d’une complication très fréquente : la perforation intestinale. Cela signifie que la matière fécale sort des intestins et se répand dans la cavité abdominale, avec pour conséquence un grave danger de péritonite (une infection de la cavité abdominale) et de septicémie (une infection généralisée par contamination de la circulation sanguine).
LA POCHE DE STOMIE AVEC LAQUELLE IL VA FALLOIR APPRENDRE À VIVRE
Je ne vais pas vous décrire en détail les différentes techniques chirurgicales. Si cela vous intéresse, vous pouvez aller voir ce site des Hôpitaux Universitaires de Genève. Pour faire simple, la partie de l’intestin endommagée ou obstruée doit être retirée, et les extrémités saines reconnectées entre elles ensuite. Très souvent, cela implique la création d’une stomie temporaire ou permanente. Une stomie est une ouverture dans la paroi abdominale qui permet aux matières fécales de sortir des intestins puis du corps pour être collectées dans un sac de stomie, qu’on appelle plus simplement, poche de recueil.
C’est une conséquence très lourde à vivre, pour soi-même, pour le conjoint, pour l’entourage, sans que cela nécessite beaucoup d’explications. Je vous laisse imaginer l’impact sur l’estime de soi, et dans le cas de maman, comme pour la plupart des gens, cela a généré une profonde détresse psychologique et un fort repli sur soi. Surtout quand on réalise que l’intestin ne va pas se remettre à fonctionner normalement, et que la poche est là pour toujours.
Le meilleur moyen de ne pas en arriver là est d’éviter l’opération en intervenant avant que l’occlusion intestinale soit complète. Mais pour cela, il faut reconnaître les signes avant-coureurs et y réagir.
SI VOUS RESSENTEZ CERTAINS DE CES SIGNES, RÉAGISSEZ TOUT DE SUITE
Il suffit de penser à ce qui se passe dans votre corps. Le transit intestinal est en train de se bloquer, tout se compresse, s’accumule, se durcit dans vos intestins. Du coup ça déborde, ça coince, ça frotte partout. C’est tout le haut de votre corps qui va se mettre à souffrir, a priori sans raison précise.
Vous avez l’impression que votre ventre est dur et gonflé. Les douleurs abdominales, les crampes ou les ballonnements deviennent de plus en plus forts et de plus en plus fréquents. Vous pourriez avoir l’impression que ce sont les mêmes symptômes que lorsque vous avez un problème de digestion, mais en beaucoup plus douloureux. Mais écoutez votre corps, votre sensation de mal-être est beaucoup plus forte et continue que d’habitude.
Le manque d’appétit est soudain très marqué. Là encore, cela arrive souvent lorsque l’âge avance, mais à ce point-là, vous devriez être intrigué.
Un point très significatif : non seulement vous êtes (encore) plus constipé que d’habitude, mais vous avez de la peine à évacuer vos gaz, voire l’impression qu’ils ne peuvent plus sortir du tout. Ce n’est PAS une impression, ils sont bloqués, et ils sont une des causes principales de ce gonflement qui vous fait tant souffrir.
À cela peuvent s’ajouter de la diarrhée, une augmentation du rythme cardiaque, la présence d’une urine foncée, de la fièvre, des nausées ou même des vomissements (souvent verdâtres ou jaune-vert).
L’erreur commise par ma mère, et je le dis simplement car c’est un réflexe que nous pourrions tous avoir, a été de faire comme d’habitude quand elle a des maux de ventre ou des soucis de constipation : elle a mangé des pruneaux secs, un peu plus que d’habitude. Naturellement, ça n’a rien amélioré cette fois. La douleur a juste augmenté, la sensation d’avoir la cage thoracique et l’abdomen qui se durcissent s’est accrue, et cela pendant plusieurs jours avant qu’elle ne se décide à aller aux urgences.
ON PEUT ÉVITER L’OPÉRATION EN S’Y PRENANT À TEMPS
C’est un temps précieux qu’il ne faut pas perdre. Si l’occlusion est traitée avant qu’elle ne soit complète, si on peut au moins éviter la perforation intestinale, c’est beaucoup moins grave, et les conséquences sont bien moindres.
Différentes techniques beaucoup moins invasives que la chirurgie peuvent apporter dans un premier temps un soulagement, puis permettre au transit intestinal de se rétablir progressivement. Une sonde nasogastrique peut être insérée pour décompresser l’estomac et l’intestin, soulageant ainsi les symptômes de nausées et de vomissements. Des médicaments permettent de soulager la douleur, de réduire les nausées et de traiter les infections, et peuvent être utilisés pour stimuler la motilité intestinale (les mouvements de contraction naturels des intestins). L’injection de liquides et d’électrolytes par voie intraveineuse permet de corriger la déshydratation et les déséquilibres électrolytiques. On passe par la case hospitalisation, c’est quand même très grave, mais on évite le pire.
MA MAMAN SE SOIGNE, MAIS L’OPÉRATION L’A ÉNORMÉMENT AFFAIBLIE
Dans le cas de ma maman, c’est la tumeur d’un cancer non diagnostiqué qui a provoqué cette occlusion. Si elle avait été plus vigilante, et je le répète avant tout plus sensible à ses propres douleurs, on aurait pu diagnostiquer son cancer sans avoir besoin d’une opération aussi lourde avec les conséquences physiques et psychologiques que j’ai évoquées.
Il a fallu d’abord qu’elle se remette, en partie, de l’opération pour commencer à envisager des soins contre le cancer. C’est autant de chances en moins, c’est autant de douleurs en plus. Elle ne méritait pas ça, et vous non plus.
Prenez soin de vous.
Votre correspondant, Léopold Boileau
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Sources :
- https://www.elsan.care/fr/pathologie-et-traitement/maladie-digestive/lavement-intestinal-definition
- https://link.springer.com/article/10.1007/s00384-022-04152-4
- https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1743919116001680
- https://my.clevelandclinic.org/health/diseases/bowel-obstruction